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Publié le 2 juillet 2021 Modifié le 6 juin 2023
Auteurs
  • VHMN – user icon
    Claire Lauria
    Copywriter
Temps de lecture : 6 minutes

Secret professionnel et signalement de maltraitance en institution

Le praticien qui s’abstient volontairement de signaler une maltraitance dont il a connaissance se rend coupable du délit d’omission d’empêcher une infraction nonobstant le secret professionnel auquel il est astreint.

Cour de cassation, chambre criminelle 23 octobre 2013 N°12-80793

Entre 1999 et 2004, des patients du pôle gérontologique d’un établissement de santé ont été victimes de maltraitances physiques et psychologiques de la part de membres du personnel.

Un médecin attaché au pôle a eu connaissance de ces actes de maltraitances subis par des personnes âgées et totalement dépendantes pour se nourrir s’habiller et se laver, et s’est abstenu de les dénoncer se sentant lié par le secret professionnel.

Le médecin a été pénalement poursuivi pour non dénonciation de mauvais traitements sur personnes dites vulnérables (article 434-3 du Code pénal).

Le jugement du Tribunal

Le 10 juillet 2009, le Tribunal correctionnel du Mans a condamné le médecin à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les mauvais traitements sur les personnes vulnérables alors qu’il en avait connaissance.

Article 434-3 du Code pénal : « Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 ».

La Cour d’appel d’ANGERS a confirmé la condamnation.

Mais, la Cour de cassation a cassé cet arrêt reprochant notamment aux juges du fond de ne pas avoir recherché si le médecin avait eu l’accord des patients victimes pour révéler les faits. A l’époque l’article 226-14 2° ne dispensait pas le médecin d’obtenir l’accord des victimes pour signaler les maltraitances quand bien même celles-ci étaient considérées comme vulnérables.

Sur renvoi après cassation, après avoir constaté l’absence d’autorisation des victimes pour procéder au signalement des maltraitances dont elles faisaient l’objet, la Cour d’appel de RENNES a écarté l’infraction de non dénonciation de mauvais traitement. Puis, elle a, malgré tout, condamné le médecin pour omission d’empêcher une infraction (article 223-6 alinéa 1 du Code pénal) :

« Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende».

Le médecin a alors formé un pourvoi en cassation en développant deux arguments :

  • Il ne disposait pas de la faculté d’empêcher les maltraitances par son action immédiate en alertant l’encadrement infirmier puisqu’il ne disposait d’aucun pouvoir hiérarchique sur le personnel soignant.
  • Le secret professionnel l’empêchait d’alerter la Direction de l’hôpital dans la mesure où seuls deux professionnels de santé sont autorisés à échanger des informations, sauf opposition du patient dûment informé, pour la continuité des soins ou pour déterminer la meilleure prise en charge.

La Haute juridiction n’a pas été convaincue par ces arguments et a confirmé la condamnation du médecin à une peine de dix mois d’emprisonnement avec sursis.

Elle a en effet estimé que l’absence de pouvoir hiérarchique du médecin sur le personnel soignant n’empêchait pas ce dernier d’alerter l’encadrement des infirmiers afin de déclencher toutes mesures de surveillance tendant à prévenir le renouvellement des mauvais traitements infligés à des pensionnaires par des membres du personnel dont il avait connaissance.

Par ailleurs, en cas d’échec de cette démarche, il appartenait alors au médecin d’intervenir auprès de la Direction de l’hôpital et de s’entretenir de la situation afin que la qualité des soins prodigués aux patients soit préservée.

Commentaires des juristes

Cet arrêt est intéressant à double titre.

1/ En premier lieu, il pose comme principe que le secret professionnel ne justifie pas l’absence de signalement d’une maltraitance constatée en institution.

En effet, le secret professionnel n’est pas un obstacle à la condamnation d’un médecin pour omission d’empêcher une infraction.

Dans cette affaire, la requalification des faits par les juges en omission d’empêcher une infraction face à l’impossibilité de poursuivre le médecin pour non dénonciation de mauvais traitements sur personnes vulnérables, marque une volonté claire de leur part de punir l’abstention délibérée du médecin pour empêcher de tels agissements.

Les juges imposent une véritable obligation pénale pour le médecin, et plus largement pour tout professionnel du secteur sanitaire et médico-social, de ne pas rester passifs face aux infractions constatées dans l’exercice de leurs fonctions et d’en empêcher la commission avec les moyens dont ils disposent, sans pouvoir se retrancher derrière le secret professionnel.

S’agissant des moyens d’action immédiats, le médecin doit dans un premier temps alerter les cadres encadrant les personnels maltraitants, seuls à même de pouvoir mettre en place les mesures propres à faire cesser les mauvais traitements au besoin en usant de leur pouvoir hiérarchique.

Dans un deuxième temps, face à l’insuffisance des mesures prises ou à l’inaction des personnes alertées, le médecin doit alors informer la Direction de l’établissement de la situation.

2/ En deuxième lieu, les juges estiment que le secret professionnel n’est pas opposable au directeur de l’établissement dans l’exercice de ses missions.

Ce deuxième apport de l’arrêt est tout aussi intéressant dans la mesure où il autorise implicitement l’échange d’informations couvertes par le secret professionnel entre le médecin et la Direction de l’établissement.

Ainsi, l’on peut considérer que de manière plus générale, les missions que le législateur a confié au directeur valent levée implicite du secret à l’égard du médecin.

Dès lors, tout médecin ou professionnel soumis au secret peut donc, sans violer ce secret, révéler des informations nécessaires à l’exercice des missions du Directeur à savoir garantir au patient la sécurité de sa prise en charge et la qualité des soins dispensés dans son établissement mais aussi répondre au patient qui exprime une plainte et défendre l’institution en cas de recours indemnitaire.

Le mot de la fin

L’arrêt du 23 octobre 2013 a indéniablement été l’occasion pour les juges de mettre en garde les professionnels du secteur contre toute invocation abusive du secret qui ne peut être un prétexte pour laisser des personnes vulnérables subir de mauvais traitements.

Bien au contraire, la collaboration entre les professionnels dans le cadre d’une prise en charge doit être une garantie, et non un obstacle, dans la prévention de la maltraitance.

En savoir plus

Si vous désirez en apprendre plus sur les la conduite à tenir en cas de suspicion de maltraitance, ainsi que les procédures à suivre lorsque celle-ci est avérée, voici quelques articles qui pourront vous intéresser :

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