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Sécurité des soins Analyse de risque Gestion des sinistres / réclamations
Publié le 29 juillet 2021 Modifié le 6 juin 2023
Auteurs
  • VHMN – user icon
    Catherine Stephan-Berthier
    Juriste direction juridique
Temps de lecture : 5 minutes

Une erreur d’interprétation radiologique par un médecin urgentiste

Le dossier du mois concerne une erreur d’interprétation radiologique par un médecin urgentiste. La question de la compétence de ces derniers à l’égard de l’interprétation des images médicales reste floue. En effet, certains médecins urgentistes du fait de leur expérience sont compétents en la matière…enfin s’ils ne commettent pas d’erreur d’interprétation…

Les faits

Madame P 56 ans chute à son domicile. Elle bénéficie d’une radiographie de la cheville. Il est alors posé le diagnostic d’entorse. La patiente sort avec une prescription d’attelles pour une durée de 5 jours ainsi qu’un traitement antalgique et anti-œdémateux.

Aucun rendez-vous de consultation avec un chirurgien ou avec le service des urgences ne lui est donné.

Trois mois plus tard, la patiente présente toujours des douleurs, la marche est difficile et le pied très gonflé. Elle consulte donc son médecin traitant qui lui prescrit une radiographie de contrôle.

Ce cliché met en évidence une fracture bi-malléolaire ainsi qu’un important déplacement du foyer de la fracture.

Madame P est opérée. Au cours de son séjour, elle présente un problème de cicatrisation qui nécessite une reprise chirurgicale. Postérieurement à l’ablation complète du matériel, Madame P garde une canne anglaise pendant de nombreux mois.

La patiente a sollicité auprès du juge des référés la mise en place d’une expertise.

Le rapport d’expertise

Il ressort du rapport d’expertise que :

« Madame P a présenté une fracture de la cheville droite typique avec écartement des deux os de la cheville et fracture déplacée des deux malléoles de cette même cheville. Le cliché était évident et la lésion a été totalement méconnue aux urgences. Par ailleurs, ce cliché n’a pas fait l’objet d’une relecture par un radiologue qui aurait pu alerter la patiente ou son médecin traitant quelques heures après(…). La patiente est repartie avec un diagnostic d’entorse de la cheville et en toute bonne foi a continué ses occupations en marchant sur sa cheville. L’existence de cette fracture et d’un appui intempestif a entraîné une désarticulation de la cheville avec bascule de l’astragale qui a été bien vue sur les clichés de mars 2003 ».

L’expert considère que cette mauvaise interprétation de radio débouchant sur une erreur de diagnostic est à l’origine d’une aggravation de l’état de Madame P. Il considère que ce retard de diagnostic est à l’origine des préjudices suivants :

  •     une ITT de 9 mois contre 3 mois si le diagnostic avait été posé correctement,
  •     une IPP de 10% au lieu de 6%,
  •     un pretium doloris de 4/7 au lieu de 3/7,
  •     un préjudice esthétique de 1,5/7.

Madame P a alors saisi le tribunal administratif, le 24 avril 2008, afin d’obtenir réparation de ses préjudices.

Le jugement du tribunal

erreur d’interprétation radilogique par un médecin urgentiste

Le tribunal retient la responsabilité du CHU en considérant que « les clichés radiographiques n’ont pas été interprétés par un radiologue qualifié. Il apparaît clairement sur ces derniers une fracture bi malléolaire évidente qui n’a pas été diagnostiquée par le personnel hospitalier. Ce défaut de diagnostic constitue une faute ».

Commentaires des juristes de Sham

Cette décision appelle plusieurs commentaires :

  1. S’agissant de la compétence des médecins urgentistes pour interpréter des clichés radio, SHAM a interrogé le Conseil National de l’Ordre des Médecins qui lui a répondu que « si un médecin urgentiste peut interpréter lui-même, seul, les clichés radiologiques nécessaires à sa pratique, cette faculté est subordonnée aux connaissances et à l’expérience dont il dispose ».
  2. En effet, rappelons que selon l’article R 4127-70 du Code la Santé Publique « tout médecin est, en principe habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose ».
  3. En outre, d’un point de vue organisationnel, le Code de la Santé Publique (article D.6124-24) prévoit que les patients accueillis dans la structure des urgences doivent avoir accès en permanence et sans délai aux professionnels compétents de l’imagerie, à savoir des manipulateurs radio et des radiologues, étant précisé que les résultats doivent être transmis à la structure des urgences dans des délais « compatibles avec l’état de santé du patient ».

Pour conclure

En résumé, si le médecin urgentiste peut avoir la compétence pour interpréter une radio, cette notion de compétence est bien fragile à défendre dans le cadre d’une procédure initiée à la suite d’une erreur d’interprétation aux urgences dans la mesure où le défaut de validation par un radiologue est systématiquement relevé comme un défaut d’organisation du service et ce, conformément aux dispositions de l’article D.6124-24 du code de la santé publique.

C’est pourquoi en pratique, il est nécessaire de prévoir une organisation et d’établir des protocoles afin que l’ensemble des clichés radiologiques soient vus par un radiologue dans des délais compatibles avec l’état de santé du patient. Au besoin, il pourra être envisagé la mise en place d’un système de télétransmission.

En savoir plus

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